La loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgences relatives au fonctionnement du marché du travail, en son article 4, a créé un nouvel article L.1237-1-1 dans le code du travail :

« Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai.

Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut saisir le conseil de prud’hommes. L’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées. Il statue au fond dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.

Le délai prévu au premier alinéa ne peut être inférieur à un minimum fixé par décret en Conseil d’Etat. Ce décret détermine les modalités d’application du présent article. ».

Cette loi, jugée conforme à notre Constitution par décision n°2022-844 DC du 15 décembre 2022, a été publiée au Journal Officiel du 22 décembre 2022, et est donc en vigueur depuis le 23 décembre 2022.

Mais, en fait, l’article L.1237-1-1 du code du travail est en attente d’un décret pour devenir applicable : le délai minimal devant être visé dans la lettre de mise en demeure adressée par l’employeur au salarié avant de pouvoir présumer de sa démission doit être fixé.

S’il peut paraître raisonnable de permettre aux parties qui ne souhaitent plus maintenir une relation professionnelle, contractée pour une durée indéterminée, de pouvoir la rompre, la présomption de démission bouscule les notions de droit existantes et pose de nombreuses interrogations.

En effet, jusqu’à lors, à défaut d’accord entre les parties, la possibilité de rompre le contrat de travail à durée indéterminée était assurée :

  • au salarié : grâce à la démission, la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur et même grâce à la saisine du Conseil de prud’hommes aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail ;
  • à l’employeur : grâce à la procédure de licenciement.

Aussi, la jurisprudence jugeait que la démission était le monopole du salarié.

Il fallait nécessairement qu’elle émane du salarié, qu’elle soit claire et non-équivoque.

Ainsi, la Cour de Cassation jugeait que le fait pour un salarié de refuser de reprendre le travail ne suffisait pas à caractériser une volonté réelle et non équivoque de démissionner, peu important les éventuelles mises en demeure lui ayant été préalablement envoyées par son employeur (C. Cass, ch soc, 11.07.2000, n°98-45342).

Avec la loi du 21 décembre 2022, la mise en demeure d’un employeur pourra désormais « provoquer » la démission automatique d’un salarié silencieux.

Cette solution paraît d’autant plus étrange que, jusqu’à ce jour, la Cour de Cassation a toujours refusé à l’employeur le droit de prendre acte de la démission d’un salarié, même en cas d’absence injustifiée et prolongée, même en cas d’embauche chez un autre employeur (C.Cass., ch soc., 11.07.2000, n°98-41262). Dès lors, tout contrat de travail rompu au motif que le salarié aurait démissionné, sans que ce dernier n’en ait pris l’initiative, était requalifié en un licenciement sans cause réelle ni sérieuse et l’employeur était tenu de verser des dommages et intérêts au salarié en sus de ses indemnités de rupture (indemnité légale/conventionnelle de licenciement, préavis et congés payés afférents).

Désormais, la tendance est inversée, c’est le salarié qui est « mis en démission ».

Le fait que la loi du 21 décembre 2022 prévoit et autorise l’employeur à prendre acte de la démission du salarié bouleverse l’équilibre existant et la définition jurisprudentielle actuelle de la démission. Les Juges feront-ils preuve de résistance ou, au contraire, réviseront-ils la notion juridique de « démission » au-delà du cas particulier des absences injustifiées et de l’absence de reprise du travail ?

De nombreuses questions pratiques se posent quant aux conditions d’application de ce nouvel article et notamment celle de savoir si, pour être jugé démissionnaire, le salarié devra avoir failli à l’une seulement ou aux deux injonctions mises à sa charge par la lettre de mise en demeure, à savoir justifier de ses absences et reprendre le travail.

Il paraitrait essentiel d’exiger le cumul des deux injonctions. Il serait en effet difficilement concevable de présumer un salarié démissionnaire n’ayant pas valablement justifié de ses absences mais ayant repris le travail avant la fin du délai lui étant offert pour ce faire. A l’inverse, si le salarié a justifié de ses absences par un motif valable, il est logique qu’il n’ait pas repris le travail. Dans les deux cas, le salarié ne saurait donc être présumé démissionnaire.

En outre, la date de la démission présumée correspondra-t-elle à la fin du délai offert au salarié pour répondre favorablement à la mise en demeure adressée ? La rupture du contrat sera-t-elle automatiquement acquise, l’employeur devra-t-il préciser dans la lettre de mise en demeure que la rupture du contrat interviendra de plein droit à une date déterminée en l’absence de réponse et réaction satisfaisante du salarié dans le délai imparti, ou l’employeur devra-t-il confirmer par écrit ladite rupture au salarié à l’expiration du délai ? Dans ce dernier cas, que se passera-t-il en cas de reprise du travail entre l’expiration du délai fixé par la mise en demeure et la confirmation par l’employeur de la rupture du contrat de travail ?

Ne pas avoir besoin de confirmer la présomption de démission pourrait paraître moins lourd et plus pratique pour l’employeur, mais cela ne lui enlèverait-il pas la possibilité de se rétracter en cours de délai et avant même la rencontre des « volontés » des parties ?

Par ailleurs, selon le droit commun, lorsqu’un contrat est rompu, les parties sont normalement tenues (sauf meilleur accord, et cas particuliers comme l’inaptitude, la faute grave ou lourde, la prise d’acte ou la résiliation judiciaire), de respecter un délai de préavis, fonction de l’ancienneté et du statut du salarié dans l’entreprise.

La loi ne dit pas si dans l’hypothèse d’une rupture pour démission présumée les parties seront tenues de respecter un délai de préavis. Le droit commun et donc l’obligation de respecter un préavis devrait s’imposer. Pourtant, compte tenu des circonstances, il est fort à parier que le salarié absent et présumé démissionnaire ne souhaitera pas revenir au travail pour respecter son préavis. Cette absence déchargera bien évidemment l’employeur de son obligation de rémunérer le salarié durant cette période, mais le délai de préavis aura néanmoins pour effet de retarder d’autant la sortie des effectifs du salarié.

L’employeur ne pourra donc remettre ses documents de fin de contrat (attestation pôle emploi, certificat de travail, dernier bulletin de paie et éventuel reçu pour solde de tout compte) au salarié démissionnaire qu’à l’issue de ce délai de préavis et, surtout, en cas de contestation par le salarié de sa démission présumée et de succès de ses prétentions, l’assiette de calcul de ses indemnités de rupture comme des dommages et intérêts dus serait étendue.

Enfin, se pose la question de savoir si l’employeur pourra continuer à licencier un salarié absent, selon la procédure classique, pour cause réelle et sérieuse ou faute grave, ou si cette voie sera (progressivement) condamnée pour ne laisser place qu’à celle de la présomption de démission. Le droit spécial primant sur le droit général, l’employeur ne se mettra-t-il pas en faute s’il choisit de licencier un salarié pour absences injustifiées d’une durée au moins équivalente au délai devant être fixé par décret plutôt que d’adresser au salarié une lettre de mise en demeure pour démission présumée ? Devra-t-il nécessairement ajouter au grief d’abandon de poste d’autres griefs pour justifier le choix de la procédure de licenciement classique ? En l’état, on ne peut que le conseiller aux employeurs.

Au regard des lourdes conséquences pour le salarié de cette nouvelle procédure de rupture pour présomption de démission, le législateur a voulu calmer les esprits en prévoyant que ladite présomption serait simple et qu’elle pourrait être renversée devant le Conseil de Prud’hommes, lequel serait tenu de trancher le litige dans le délai maximum d’un mois.

Une telle procédure existe déjà. Le code du travail prévoit en effet une procédure accélérée pour trancher les litiges au fond, parallèlement à la procédure classique.

La procédure classique veut que le salarié saisisse le Conseil de Prud’hommes par voie de requête. Le greffe convoque alors les parties devant le Bureau de Conciliation et d’Orientation pour tenter de trouver une issue amiable au différend. A défaut d’accord et à l’issue de cette audience devant le Bureau de Conciliation et d’Orientation, le Conseil fixe un calendrier pour que les parties puissent échanger leurs conclusions et pièces. Une ou plusieurs date(s) d’audience de mise en état (successives) sont fixées avant celle des plaidoiries. Ce n’est qu’à l’issue de l’audience des plaidoiries que le Conseil précise la date à laquelle il rendra sa décision, laquelle est généralement fixée entre un et trois mois plus tard.

La procédure accélérée est d’ores et déjà ouverte à certains cas particuliers comme par exemple les demandes de requalification d’un contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, les prises d’acte de la rupture de contrats de travail aux torts exclusifs de l’employeur emportant les effets d’un licenciement sans cause réelle ni sérieuse, les demandes de paiement de salaire en cas de redressement ou de liquidation judiciaire de l’employeur, les demandes de liquidation d’astreintes, … Dans de tels cas spécifiquement prévus par la loi, le salarié saisit le Conseil de prud’hommes et le greffe convoque directement les parties devant le bureau de jugement à une audience des plaidoiries. Les parties font ainsi l’économie de la première phase de tentative de conciliation devant le bureau de conciliation et d’orientation.

A la lecture de l’article L.1237-1-1 du code du travail comme de ceux prévoyant la même procédure spécifique, on pourrait croire qu’entre la saisine du Conseil de Prud’hommes et la décision de la juridiction, un délai maximum d’un mois s’écoulerait. Mais dans la pratique, il n’en va pas ainsi. Certes, cette procédure est plus rapide que la procédure classique, mais en réalité, les greffes des Conseils de Prud’hommes s’efforcent d’envoyer aux parties une convocation dans le mois suivant la saisine. De fait, l’audience devant le Bureau de jugement est elle-même bien plus éloignée. A cette audience, l’une des parties ou son Conseil sollicite habituellement le renvoi pour pouvoir disposer du temps nécessaire à la mise en état du dossier, afin que le principe essentiel du contradictoire soit respecté, et l’affaire est renvoyée avec toutes les autres, à la « première date utile » c’est-à-dire en fonction des disponibilités de l’agenda du Conseil, et avec fixation d’un calendrier pour l’échange des arguments des parties. Rares sont les juridictions qui bloquent des dates précises et régulières pour audiencer ces affaires « urgentes ».

En d’autres termes, il serait illusoire en l’état actuel de notre justice, de croire que l’urgence accordée par le législateur aux cas de démission présumée sera effective en pratique.

Enfin, on peut légitimement s’interroger sur l’intérêt d’une telle loi.

L’intérêt économique est évident : l’Etat souhaite réduire le coût de l’assurance chômage. Le salarié abandonnant son poste de travail étant assimilé à un salarié démissionnaire, il sera, par la même occasion, privé du bénéfice de l’assurance-chômage.

Fort opportunément et avant que cette nouvelle disposition ne trouve à s’appliquer, le gouvernement a publié en février 2023, via la DARES (Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques), des chiffres édifiants[1]. Il semblerait que 70% des licenciements pour faute grave ou lourde dans le secteur privé au 1er semestre 2022 soient motivés par un abandon de poste.

« Sans mentir, si le ramage » du salarié réputé démissionnaire « se rapporte » à son « plumage », l’Etat est « le phénix des hôtes de ces bois »[2], à condition toutefois que la voie de l’article L.1237-1-1 du code du travail soit effectivement et valablement empruntée.

Du point de vue du salarié, cette réforme n’est pas de très bon augure. Elle affranchit l’employeur de toute convocation à un entretien préalable et, surtout, de mener un tel entretien.

Or, il est, dans la réalité, assez fréquent que si les salariés ne réagissent pas à une lettre de mise en demeure, ils retrouvent l’usage de leurs langues lors d’un entretien en face à face avec leur employeur. Cette procédure expéditive ne semble donc pas très respectueuse du droit jusqu’à présent reconnu aux salariés de faire part de leurs explications lors de l’entretien préalable à leur éventuel licenciement.

Bien évidemment, une telle procédure pose également difficulté dans les nombreux cas où l’absence du salarié est justifiée par un manquement suffisamment grave de l’employeur (non-paiement de tout ou partie de ses salaires, de ses commissions, mutation abusive, harcèlement, …). De tels motifs, pouvant pourtant justifier une prise d’acte du contrat de travail ou une résiliation judiciaire, aux torts de l’employeur, n’empêcheront pas ce dernier de rompre le contrat de travail, sans bourse délier. Les Juges devront alors hiérarchiser l’étude des griefs de l’employeur contre le salarié et ceux du salarié contre l’employeur pour décider si la présomption de démission prend le pas sur une rupture aux torts de l’employeur ou non.

En attendant, le salarié se retrouvera fort dépourvu quand la bise sera venue[3]. Ni indemnité de rupture, ni assurance chômage, à tout le moins durant les 4 premiers mois suivant l’inscription du salarié à Pôle Emploi, délai au-delà duquel son dossier pourra être réexaminé (cependant sans aucune garantie de succès).

Certains employeurs pourraient être tentés de tester une telle pratique en misant sur l’absence de saisine du Conseil de Prud’hommes par leurs salariés réputés démissionnaires.

Surtout, on peut s’inquiéter des effets pervers prévisibles d’une telle réforme. Les salariés auront plus intérêt à se faire licencier pour faute, voire pour faute grave ou même pour faute lourde que pour démission présumée, dès lors que ces licenciements ne sont pas (encore) privatifs de l’assurance chômage. Les employeurs ont intérêt à se préparer à faire face aux pires agissements de leurs salariés, s’ils n’acceptent pas une rupture conventionnelle de leurs contrats de travail.

De son côté, l’employeur pourrait être alléché par cette nouvelle procédure aussi efficace que rapide ne nécessitant pas d’organiser un entretien préalable, de vérifier que toutes les mentions obligatoires figurent bien dans la lettre de convocation du salarié, de notifier au salarié ledit licenciement en respectant les délais minimal et maximal s’imposant à lui.

Mais attention ! En premier lieu, sous réserve que la possibilité de rompre le contrat de travail pour démission présumée exige bien le cumul des deux griefs – absence injustifiée et non-reprise du travail – et dans l’hypothèse où le salarié répondrait positivement à l’une de ces deux injonctions comprises dans la lettre de mise en demeure, l’employeur se retrouverait bloqué. S’agissant de salariés qui s’absenteraient régulièrement sans justifications valables, mais en pointillés, la procédure serait vaine. Et si l’employeur choisissait finalement de se réorienter vers une procédure de licenciement classique, il aurait perdu du temps plutôt que d’en gagner et s’exposerait au risque de la prescription des faits reprochés.

En second lieu, si le salarié devait contester sa démission présumée, seules deux solutions seraient a priori envisageables : soit la démission serait confirmée, soit, en cas d’infirmation, la rupture serait automatiquement requalifiée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec obligation pour l’employeur de verser, en sus des indemnités de rupture, des dommages et intérêts selon le barème Macron.

L’employeur aurait donc peut-être plutôt intérêt à emprunter la voie du licenciement pour faute grave car, si le risque d’une requalification en licenciement sans cause réelle ni sérieuse ne pourrait être totalement écartée, la rupture pourrait également être requalifiée en un licenciement pour cause réelle et sérieuse. Et en tel cas, la casse serait limitée : l’employeur ne serait pas tenu de verser au salarié des dommages et intérêts en sus de ses indemnités de rupture. Enfin et surtout, l’employeur conserverait la possibilité de formuler d’autres griefs contre le salarié, augmentant ainsi d’autant ses chances de voir juger son licenciement pour faute grave ou, à minima pour cause réelle et sérieuse, bien-fondé.

Il n’est donc nullement assuré que l’employeur ait un véritable intérêt à privilégier la présomption de démission pour rompre le contrat, à moins de n’y être contraint, ce que l’avenir nous dira peut-être…

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[1] Dares focus, n°12 – février 2023 ; https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/combien-de-salaries-abandonnent-leur-poste-et-que-deviennent-ils

[2] Allusion à la fable « « Le corbeau et le renard » de Jean de la Fontaine

[3] Allusion à la fable « La cigale et la fourmi » de Jean de la Fontaine