Par un arrêt du 7 décembre 2022, la Cour de Cassation a confirmé que les notions de harcèlement moral et d’obligation de sécurité ne se confondaient pas (C.Cass., ch. soc., 7.12.2022, n°21-18114).

Voici un petit rappel de ces deux notions et de leur in(ter)dépendance.

Pour être constitué, le harcèlement moral doit cumulativement réunir les trois conditions cumulatives suivantes (art.L.1152-1 du code du travail et article 222-33-2 du code pénal) :

  • Des actes répétés, par une ou plusieurs personnes (ayant connaissance de la répétition),
  • ayant pour objet (intention) ou pour effet (conséquence avec/sans intention de nuire) une dégradation des conditions de travail du salarié
  • cette dégradation étant susceptible (sans être nécessairement constituée) de porter atteinte à la dignité du salarié, ou d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.

Aucune autre condition (y compris relative à un éventuel lien hiérarchique entre l’auteur et la victime) n’est exigée.

Dès lors que des faits de harcèlement moral sont caractérisés, la responsabilité de l’auteur physique est engagée. Qu’en est-il de la responsabilité de l’employeur, personne morale ?

L’article 1242 du code civil prévoit que l’ « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre (…) ». Ainsi, les père et mère sont responsables de leurs enfants, les instituteurs sont responsables de leurs élèves, les artisans sont responsables de leurs apprentis … et les commettants, au titre desquels les employeurs, sont responsables de leurs préposés, c’est-à-dire de leurs salariés.

En outre, l’article L.121-2 du code pénal prévoit que « Les personnes morales (…) sont responsables pénalement (…) des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ». Le taux de l’amende applicable aux personnes morales est même 5 fois supérieur à celui prévu pour les personnes physiques (article L.131-38 du code pénal).

Dans ces conditions, dès lors que les faits de harcèlement moral sont établis entre des salariés, la responsabilité de l’employeur est nécessairement engagée, ce que l’arrêt du 7 décembre 2022 a rappelé. La Cour de Cassation a en effet cassé l’arrêt de la Cour d’Appel de Dijon, qui avait estimé que la salariée était mal-fondée à invoquer un harcèlement moral à l’encontre de son employeur alors pourtant que les faits de harcèlement moral entre les salariées étaient établis. La Cour de Cassation rappelle ainsi que « l’employeur doit répondre des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés ».

Par ailleurs, les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail mettent à la charge de l’employeur une obligation de sécurité et de protection de la santé physique et mentale de ses salariés.

Il incombe à l’employeur d’entreprendre des actions de :

  • prévention des risques professionnels,
  • d’information et de formation du personnel,
  • de mise en place d’une organisation et de moyens adaptés

et ce, pour

  • éviter les risques,
  • évaluer ceux qui ne peuvent être évités,
  • les combattre à la source,
  • adapter le travail aux salariés (conception des postes de travail, équipements de travail, méthodes de travail et de production),
  • tenir compte de l’état d’évolution de la technique,
  • remplacer ce qui est dangereux pas ce qui ne l’est pas ou par ce qui l’est moins,
  • planifier la prévention et l’intégrer dans la réalité des conditions de travail des salariés,
  • prendre des mesures de protection collective primant sur celles individuelles,
  • donner des instructions adaptées aux travailleurs.

Dans la cadre de l’arrêt rendu le 7 décembre 2022, la Cour de Cassation a confirmé le jugement entrepris en ce qu’il avait constaté l’absence de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité malgré la commission d’actes de harcèlement entre salariées. Il a rappelé le principe suivant : « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les article L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ».

En résumé, la responsabilité (au moins civile) de l’employeur pour harcèlement moral est automatiquement engagée dès lors que celle des travailleurs dont il est responsable l’est.

Heureusement pour les employeurs, les Juges sont, en réalité, très exigeants pour reconnaître l’existence d’actes de harcèlement moral. Ils bottent souvent en touche en jugeant que les faits dénoncés constituent de simples contraintes et/ou conflits susceptibles d’exister au sein d’un collectif de travail.

Quant à la responsabilité de l’employeur pour violation de son obligation de sécurité et/ou pour exécution déloyale du contrat de travail, elle peut être engagée indépendamment de la reconnaissance ou non d’actes de harcèlement moral.

Pour autant, la tentation de fondre ces deux notions reste grande.

En effet, comment expliquer la survenance d’actes de harcèlement moral si ce n’est pas l’échec des mesures, notamment de prévention, mises en place par l’employeur ? De plus, il eut été confortable de fondre les deux notions pour juger l’employeur responsable d’actes de harcèlement moral non en vertu de sa responsabilité de commettant à l’égard de ses préposés mais au motif que les mesures prises pour éviter les actes répréhensibles ou les faire cesser auraient été insuffisantes.

Mais c’était oublier que l’obligation de sécurité, initialement qualifiée par la jurisprudence d’obligation de résultat, n’est plus qu’une obligation de moyen renforcée depuis l’arrêt Air France (C. Cass., ch. Soc., 25.11.2015, n°14-24444), et c’est heureux !

En effet, ériger l’obligation de sécurité en une obligation de résultat avait pour conséquence de condamner systématiquement l’employeur sur ce fondement dès lors que des actes de harcèlement moral étaient établis, quels que soient les efforts qu’il avait pu déployer pour les éviter et y mettre un terme. Le résultat obtenu était à l’opposé de l’objectif souhaité : les employeurs, assurés de leur condamnation en cas de harcèlement moral, n’avaient aucun intérêt à s’employer à prévenir ni mettre un terme à de tels actes. A l’inverse, limiter l’obligation de sécurité à une obligation de moyen renforcée a eu pour effet d’inciter les employeurs à jouer le jeu, ce qui est bénéfique pour tous. Désormais, la responsabilité de l’employeur pour non-respect de son obligation de sécurité n’est plus automatiquement reconnue lorsqu’un cas de harcèlement moral est avéré et la qualification d’actes de harcèlement moral ne dépend pas du respect (ou non) par l’employeur de son obligation de sécurité.

Aussi, la Cour de Cassation nous rappelle fort justement, dans son arrêt du 7 décembre 2022, que les fondements juridiques de ces deux notions sont distincts et indépendants.

Il n’en demeure pas moins que l’obligation de sécurité mise à la charge des employeurs reste lourde, étroitement liée à la notion de harcèlement moral, et expose l’employeur à une double sanction.

On ne peut donc, en l’état actuel de la législation et de la jurisprudence, que recommander vivement aux entreprises de mettre en place toutes les mesures de prévention, information, formation et actions imaginables en espérant éviter la commission d’actes de harcèlement moral d’une part, et éviter toute condamnation pour manquement à l’obligation de sécurité, d’autre part.

Au titre des mesures à mettre en place, il est fortement recommandé aux employeurs notamment de :

  • rappeler dans leur règlement intérieur (au besoin au moyen d’une annexe) l’interdiction des faits de harcèlement moral, sexuel et des agissements sexistes, ainsi que les sanctions civiles, pénales et disciplinaires applicables à chacune de ces infractions,
  • recenser les éventuelles difficultés, en mesurer l’ampleur, en appréhender les circonstances pour ensuite adopter les mesures adéquates ;
  • évaluer les risques dans le DUERP et le tenir à jour ;
  • prévoir la procédure à suivre si un cas survient et informer les salariés (en s’aménageant la preuve de cette information) : une telle procédure pourra, par exemple, prévoir une phase informelle par la mise en place d’un numéro d’appel (éventuellement) anonyme ou la désignation d’un référent pour accueillir la parole des personnes intéressées, les conseiller et les assister au mieux ; elle pourra aussi prévoir une procédure de médiation dans le cadre de laquelle un médiateur, choisi d’un commun accord entre les parties, aurait pour mission d’écouter les parties séparément / ensemble, avant de tenter de trouver une solution amiable, consigner les mesures / aménagements mis en place, suivre sur une durée déterminée l’évolution de la relation professionnelle et en rendre compte ;
  • prévoir une procédure d’alerte (des représentants du personnel, du responsable RH, de la Direction, …) et les actions consécutives devant être menées par la Direction (ouverture d’une enquête, audition des parties/témoins, évaluation des conditions concrètes de travail, interrogation du CSE sur les solutions pouvant être mises en place, rédaction d’un compte-rendu, prendre une mesure disciplinaire contre l’auteur des faits le cas échéant, …) ;
  • veiller à proposer des formations adaptées aux salariés, y compris sur les méthodes de management, les règles de bonne conduite à adopter dans le cadre du partage d’un même espace de travail, … ;
  • veiller à ce que les entretiens périodiques prévus par la loi, les conventions collectives, accords de branche ou d’entreprise, lesquels permettent de détecter d’éventuelles difficultés, se tiennent ;
  • prévoir une assistance adaptée pour le personnel plus particulièrement exposé au risque (suivi psychologique suite à une agression en interne, assistance juridique en cas d’agression par un tiers, …);
  • traiter les plaintes sans retard ;
  • accompagner les victimes notamment aux fins de maintien dans l’emploi, d’adaptation de leur poste ou de réinsertion sur un autre poste;
  • adopter toute autre mesure appropriée aux situations envisageables ou rencontrées.